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de plain-pied dans le monde

De plain-pied dans... les étagères

À force de faire autre chose, j’en viendrais à oublier l’essentiel. Donc : mon livre De plain-pied dans le monde. Écriture et réalisme dans la géographie française au XXe siècle est sorti à l’Harmattan. Occasion de constater à quel point une date de parution est quelque chose d’obscur : j’en ai été averti le 20 février et l’éditeur l’annonce parmi les nouveautés de mars. Mais si j’en crois Amazon, la date officielle serait plutôt le 13 février ! Pour ce blog — toujours aussi négligé par les temps qui courent — ce sera donc le 21 mars… Il est disponible sur divers sites de vente en ligne, dont Chapitre.com, alapage, la Fnac, etc.

Vous connaissez déjà l’image de couverture (tout le monde dit qu’elle est très belle), pour laquelle je ne saurais assez remercier Carole Duval et Marie-Claire Robic :

 

 

 

Texte de la quatrième de couverture, réalisé avec le concours de Denise Pumain, Marie-Pierre Sol, Marc Joly et Marie-Claire Robic :

Les géographes, dans leur pratique savante, sont généralement connus pour s’être interrogés d'abord sur les relations homme-milieu, ou sur la singularité d’une région ou d’un paysage, puis d’avoir placé l’organisation spatiale ou les territoires au coeur de leur discipline.

C’est une autre clé de lecture qui est proposée ici : il s’agit de relire l’évolution de la géographie française, en insistant sur le souci longtemps dominant d’être "fidèle aux réalités", et sur sa remise en cause récente. L’examen d’un vaste corpus de textes, allant de 1900 aux années 1980, met en évidence l’importance du réalisme comme fondement épistémologique de la géographie. Ce souci du réel, indiscuté jusqu’à la fin des années 1960, a été battu en brèche dans les années 1970. Un épisode important de l’histoire de la géographie française est ainsi réinterprété comme une révolution scientifique (au sens de Thomas Kuhn), la "Nouvelle géographie" ayant mis en question le paradigme "classique" défendu par l’École française, selon une critique constructiviste formulée collectivement.

Fondé sur des analyses multiples (littéraires, épistémologiques, socio-linguistiques, historiographiques), De plain-pied sur le monde se veut tout à la fois une contribution particulière à l’histoire de la géographie française et une réflexion plus globale sur le statut de la langue dans les mutations des sciences.

 

Je suis assez contrarié du prix fixé par l'éditeur, sachant qu'il n'y a pratiquement pas d'illustrations et que la couverture leur a été fournie clés en mains, comme l'ensemble du texte d'ailleurs. Sur ce point, je ne dirai jamais assez ma reconnaissance à Claude et Martine Blanckaert pour le travail qu'ils ont effectué, grâce à quoi le manuscrit déposé à l'Harmattan était parfaitement aux normes de la collection « Histoire des Sciences Humaines » et l'éditeur n'a rien trouvé à redire.
Pour le reste, c'est au lecteur de se faire une idée.

 

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Dernière ligne droite

Normalement, ça devrait ressembler à ceci :

 

De mon côté, tout est prêt : le manuscrit (issu d'un troisième jeu d'épreuves) et le paratexte. Maintenant, une fois que le contrat sera signé (normalement le vendredi 12 décembre), c'est à l'Harmattan de jouer...

L'idée de la couverture est de Marie-Claire Robic à la base. Et c'est Carole Duval, une graphiste qui travaille à l'Institut de géographie de Paris, qui lui a donné une forme tangible. La direction générale consistait à superposer une vieille carte topographique, emblème d'une géographie réaliste, avec une carte thématique à visée interprétative. En prenant (quelle surprise !) un même référentiel languedocien, ça nous a menés à l'une des réalisations graphiques de Système économique et espace de Franck Auriac.

La carte d'état major "Narbonne" au 1/80 000e (1851) sert donc d'arrière-plan et le schéma interprétant la "potentialisation spatiale du vignoble languedocien" - largement retravaillé par la couleur et délesté de sa légende - est placé par dessus. Carole Duval y a adjoint un monde en guirlande jaune. Le tout forme un palimpseste de la géographie !

 

 

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Un an plus tard...

Cela fait un an que j'ai posté un bref message annonçant l'envoi du manuscrit revu de ma thèse à mon éditeur. À dessein, je n'en ai pas reparlé depuis. Durant l'été 2007, Claude Blanckaert m'a renvoyé un jeu d'épreuves, tandis que durant juillet Marie-Claire Robic avait entièrement annoté mon texte. Pour des raisons compliquées, j'ai mis six mois avant de m'y remettre (avant de m'en remettre ?). Après deux mois d'un labeur très pénible, j'ai rendu le 9 avril 2008 un jeu d'épreuves corrigées, tenant compte des observations de l'un et de l'autre. J'ai réussi en plus à me défaire de nombreux passages qui apparaissaient assez superflus avec le recul. Ayant fait attendre Claude Blanckaert pendant huit mois, j'aurais des scrupules à lui demander le moindre compte sur l'état d'avancement du texte. Qu'il me suffise de dire que la parution pourrait se faire rapidement, s'il n'y a pas d'obstacles du côté de l'Harmattan, et si nous arrivons à trouver une illustration de couverture, exercice pour lequel je me sens particulièrement démuni. Je suis également censé écrire le texte de la quatrième de couverture, exercice qui me met assez mal à l'aise. Quand j'étais "petites mains" aux éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS) en 1992-1993 et 1995-1996, j'ai écrit plusieurs quatrièmes de couverture pour des livres que j'avais contribué à éditer. Mais précisément je n'étais pas l'auteur, et c'était donc assez facile à faire pour moi. Là, il en va autrement. Quand il sera temps, je le ferai néanmoins...
J'ai hâte que cette histoire se termine. Je me suis inscrit en thèse en 1992. Il m'a fallu cinq ans avant de trouver le bon sillon et de me mettre réellement à ce qui allait devenir, en octobre 2003, un objet « soutenable ». Il s'est encore passé trois ans et demi avant que je ne remette la chose sur le métier pour en faire un livre. En cette époque qui valorise les productifs, je me fais l'effet d'une tortue baroque. D'ailleurs, quand on me demande aujourd'hui des textes qui seraient une « valorisation » de ma thèse, je rentre instantanément dans ma carapace. Je n'en ai pas du tout envie. Mon effort présent consiste précisément à ne pas repasser les plats du passé. Cette attitude n'est pas dictée par un orgueil ombrageux, mais par une incapacité constitutive à prendre du plaisir à la répétition. D'ailleurs, ça vaut pour n'importe quoi : contes, musique, démarches administratives... Là où certains trouvent une sécurité dans la réitération, c'est en ce qui me concerne une dissuasion, un blocage en amont. Combien de fois je me suis mis dans des situations inextricables parce qu'il fallait exécuter une tâche simple mais comportant un certain nombre de redites.
Dans le suivi du colloque « Mai 68, creuset pour les sciences de l'homme ? », cela m'a parfois joué des tours pendables. Tout le travail de « secrétariat », qu'il m'a bien fallu assumer faute de solutions alternatives, a souvent laissé à désirer. C'est dans des circonstances de la sorte que l'on prend la mesure de la précarité de ce genre d'entreprise : on fait tout, de l'élaboration intellectuelle au suivi des invitations et des demandes de financement. Mais comme il y a tant d'autres tâches à remplir par ailleurs, souvent elles-aussi secrétariales, des boulettes se produisent, des délais sont dépassés, etc. Alors je ne regrette pas pour autant le bon vieux temps des mandarins et de leurs secrétaires attitrées, mais je m'inquiête de modes d'évaluation de la recherche qui ignorent le niveau de dénuement logistique dans des secteurs aussi mal dotés que l'histoire des sciences humaines (et les SHS en général).

Le colloque, parlons-en.
Bertrand Müller et moi avons transmis un programme provisoire - où ne figurent que les interventions certaines - pour la prochaine Lettre de la SFHSH. Mais nous nous refusons pour le moment à mettre en ligne un programme sur les principaux sites de diffusion de la recherche. Trop de lettres d'invitation sont restées jusqu'à présent sans réponse. Trop de pistes excitantes demeurent en suspens, faute de répondant chez les interlocuteurs pressentis. Il va falloir réécrire, relancer, alors que le colloque est dans deux mois ! Et combien de spécialistes de telle ou telle question qui se sont récusés du fait qu'il s'agissait d'un colloque d'histoire des sciences ? Les clients pour parler de Mai-68 en relation avec tel ou tel registre social sont légion. Mais dès que l'on précise qu'il est question de la construction cognitive de ces registres, dans un régime d'historicité mis en question, il n'y a plus grand monde. C'est comme si l'objectivisme social faisait son grand retour, même à propos de l'événement stipendié de la déconstruction collective !
Pour l'heure, je m'en tiendrais là, me réservant de publier des réflexions pendant l'été au gré de la préparation de mon intervention, et si j'en ai l'énergie ou le courage.

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C'est fait (?)

Ce soir, j'ai envoyé à Claude Blanckaert un fichier de 2Mo intitulé Le Plain-pied du monde, soit 404 pages au gabarit de sa collection "Histoire des sciences humaines". Je n'en peux plus. J'y ai travaillé tout le printemps, quand d'autres taches ne m'accaparaient pas.
Sinon, le texte de l'appel à communications pour le colloque "Mai-68, creuset pour les sciences de l'homme?" est prêt et "validé" par le CA de la Société française pour l'histoire des sciences de l'homme (SFHSH). Le comité scientifique se met en place lentement. J'attends des réponses. Dès que possible, nous le mettons en ligne. A la rentrée, nous nous occuperons des financements.
Ce blog sera sans doute en veille entre le 3 et le 25 juillet. Je serai supposément "en vacances", sauf du 12 au 17, période à laquelle je participe à une école d'été à l'ENS-LSH à Lyon. En revanche, la période allant de la fin juillet à la mi-août sera un bon moment pour publier ici de nouvelles choses et améliorer ce qui est déjà en ligne.

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Vidal de la Blache en copeaux

Il n'y a plus aucun travail sur la prose vidalienne dans la version réécrite du Plain-pied. Quand on est l'élève de plusieurs éminents spécialistes de Paul Vidal de la Blache, on sait que le curseur est élevé. Voici néanmoins les deux-trois bricoles que j'avais esquissées sur ce monsieur.


L’hypothèse que je souhaite étayer est qu’un réalisme particulièrement « métaphysique » au sens putnamien constitue une contrainte décisive du paradigme cristallisé par les élèves de P. Vidal de la Blache dans leurs écrits théoriques et empiriques, susceptible de rendre raison du style épistémologique de l’école française de géographie. Dans mon « Archéologie du réalisme géographique », je me suis efforcé de déconstruire la posture dans une perspective relativement anhistorique, en m’appuyant pour l’essentiel sur des formulations de la « grande époque » de l’école, c’est-à-dire le premier xxe siècle — celui qui précède la deuxième guerre mondiale —, période où elle connaît son apogée en terme de rayonnement international. Comme je ne l’ai pas travaillé en tant que tel, ce contexte favorable constitue simplement une trame, suggérant un contraste avec l’époque antérieure (1892-1903) durant laquelle P. Vidal de la Blache et ses premiers lieutenants avaient dû fournir la preuve de la viabilité scientifique de leur « école ». C’est dans un contexte moins précaire mais plus exigeant que la science se fait « normale » (au sens kuhnien). L’entreprise de codification donne un cadre strict à ce qui était jusque là «science extraordinaire», engagée sur plusieurs voies, visant davantage la séduction, la synesthésie, la mimèsis de la « vie », que la netteté des catégories. Au reste, la lecture des très nombreux articles à visée théorique du « père fondateur » frappe par la souplesse du lexique, la richesse et la profusion des exemples, l’enracinement dans l’expérience vernaculaire, les raccourcis littéraires :

Grâce à cette souplesse et à une vitalité qui s’adapte à tous les climats, il n’y a guère de parties de la surface terrestre auxquelles la physionomie de l’homme ne s’incorpore. Son image s’associe aux formes les plus diverses de configuration et de relief. Pour peu que nous échappions un moment aux scènes de nature humanisée qui nous sont familières, le vide nous frappe. Le premier hameau qu’on aperçoit, après quelques heures passées en montagne, au tournant de quelque étroit couloir : humble trace de l’homme, mais signe visible que là recommence son action directe et continue sur les choses, répond à un sentiment instinctif d’attente ; il nous rend cette impression de vie personnelle qui est inséparable pour nous de l’image des contrées.
P. Vidal de la Blache, « La géographie politique, à propos des écrits de M. Frédéric Ratzel », Annales de géographie, 1898, p. 100 [97-111]

Pour signifier l’omniprésence de la « physionomie de l’homme » à la « surface terrestre », le discours en généralité, « panoptique » et universel, se trouve, dès la troisième phrase de l’alinéa pris pour exemple, subjectivé par la focale individuelle d’un observateur (ou « dresseur d’images » selon la belle formule de Didier Mendibil) qui épouse l’expérience familière du marcheur et multiplie les notations « expressives » (au sens de Roman Jakobson*), « étroit couloir », « humble trace », « sentiment instinctif d’attente », « nous rend cette impression de vie personnelle », tant et si bien que la dimension justificative de l’exemple finit par être recouverte sous une visée emphatique à plusieurs niveaux (communion avec la scène et avec le lectorat). Par ailleurs, l’écriture vidalienne opère une mise en équivalence éminemment figurée et littéraire entre deux références à priori difficilement commensurables : la « surface terrestre » et la « physionomie de l’homme », redoublée immédiatement par l’idée d’association entre les «formes les plus diverses de configuration et de relief» et l’« image » de l’homme. Tout se passe comme si l’auteur articulait par analogie morphologique un comparant (phore) et un comparé (thème), en conférant à son analogie vertigineuse les propriétés rhétoriques de la comparaison littéraire (même si ce n’en est pas une). On pourrait aussi parler à plusieurs niveaux d’attelage**, procédé pour le moins baroque dans un texte « théorique ». Cette propriété de glissement et d’esquive, usant du raccourci par les figures littéraires (ou tropes), passant d’un registre à un autre sans crier gare, contribue certainement plus que tout autre chose à l’ambiguïté vidalienne. Par ce biais, le « père fondateur » échappe aux distinctions pesantes, au figé des catégories qu’une intelligence plus diacritique essaierait d’imposer. Il s’en affranchit au bénéfice d’une poursuite inlassable de la dynamie ou « vitalité » des « rapports entre la terre et l’homme », en une mimétique qui tient à la fois de la métaphysique et de l’acte littéraire. C’est sans doute pour cela qu’il y a une telle indifférence à l’idée de réalisme chez P. Vidal de la Blache, mais en revanche une régulation constante du décrit par un ancrage dans les «réalités». Réaliste, le « père » de l’« école française » l’était certainement, évidemment, mais plutôt à la manière des écrivains réalistes ou naturalistes du second xixe siècle, c’est-à-dire avec une conscience de l’effectuation scripturaire, plutôt qu’en vertu d’une clause épistémologique qui viendrait peser sur la liberté du dire.
Pour toutes ces raisons, brièvement étayées, je fais l’hypothèse d’une césure entre P. Vidal de la Blache et ses « élèves », que j’ai tendance à considérer surtout comme des « post-vidaliens »: ils sont certes dépositaires de questionnements esquissés par leur « maître » et d’un ensemble de manières de faire, mais ils ont eu la lourde tâche d’ériger en système et en normes ce qui était intuitions, notations, esquisses ; il leur a fallu pour partie dé-littérariser le discours disciplinaire, afin de le codifier, de le rendre transmissible autrement que par une expérience singulière, pour partie ineffable. C’est surtout au niveau du discours théorique que se sent l’abstraction, car même si celui-ci se raréfie relativement, il perd surtout le caractère coloré et profus conféré par les exemples vidaliens, dans lesquels l’instance explicative s’estompe derrière les fonctions expressive, conative et, last but not least, poétique.
Bien qu’il ne soit pas dans mon propos de faire des développements importants sur P. Vidal de la Blache, j’ai trouvé dans ses textes une et une seule occurrence de discours explicitement réaliste, dans un texte assez tardif, « Les caractères distinctifs de la géographie », publié alors que le « patron » de l’école française de géographie avait soixante-huit ans et l’essentiel de son œuvre derrière lui, et alors que ses principaux lieutenants avaient déjà publié la plupart des textes que j’ai étudiés pour donner sens au réalisme géographique :

La terre […] fournit pour cela [à la géographie] un champ presque inépuisable d'observations et d'expériences. Elle a pour charge spéciale d'étudier les expressions changeantes que revêt suivant les lieux la physionomie de la terre. Remarquons, avant d'aller plus loin, que cette combinaison est la forme même sous laquelle les phénomènes s'offrent partout dans la nature. La géographie est sollicitée vers les réalités.
P. Vidal de la Blache, « Les caractères distinctifs de la géographie », Annales de géographie, 1913, p. 293.

Cette « remarque » constitue une parenthèse incidente dans le corps du discours, sur laquelle l’auteur ne s’appesantit pas plus que cela. On pourrait la lire aisément comme une sorte de préalable ou de clause de style. Elle ne souffre en revanche d’aucune ambiguïté : « les phénomènes s'offrent partout dans la nature » sous « forme » de « combinaison », ce qui revient bien à dire que « les réalités » — aussi bien que leur assemblage — sont un « donné » de nature, qui opère comme une attraction sur la « géographie ». Le géographe apparaît un peu comme celui qui est aspiré par le monde, amené à se départir de lui-même pour s’absorber dans la « scènerie » qui s’offre à lui. Il y a là comme une extraversion fondamentale tout à fait congruente avec la personnalité scientifique du « père » de l’école française de géographie.

 

Notes

* Je m'appuie ici sur la typologie du phénomène linguistique exposée par R. Jakobson dans ses Essais de linguistique générale, Paris, Eds de Minuit, 1963, rééd. coll. « Double », 1994. On en trouve un résumé efficace dans la Rhétorique générale du Groupe µ : « Un émetteur envoie un message à un récepteur par l’intermédiaire d’un canal : le message est codé et il se réfère à un contexte. Les différents facteurs donnent naissance à autant de fonctions différentes, en principe cumulatives, mais le plus souvent hiérarchisées selon le type d’acte communicatif : en pratique, c’est la fonction référentielle (ou descriptive) qui domine, mais le message peut également être « centré » sur le destinateur (fonction expressive) ou sur le destinataire (fonction conative). Parfois, l’accent est mis sur le code (fonction métalinguistique), voire sur le contact (fonction phatique). Restent les messages centrés sur eux-mêmes, par prédominance de ce que Jakobson appelle la fonction « poétique »... » (p. 23).

** L’« attelage » (ou zeugme sémantique) est une figure littéraire qui réunit des termes ou syntagmes à priori incompatibles « au moyen d’un élément qu’ils ont en commun et qu’on ne répétera pas » (B. Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10-18, 1984, p. 473-474). En l’occurrence, l’élément commun est « l’image » ou « physionomie ».

 

 

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Olivier Dollfus sauvé des eaux

Dans mon opération de réécriture du Plain-pied pour publication, les pages sur Olivier Dollfus sont passées à la trappe. Ce n'était pas le passage le plus central, dans un chapitre au demeurant très long. D'un autre côté, j'ai passé beaucoup de temps à travailler pour écrire ces lignes. En voici une version réaménagée à la va-vite.

Parmi les ouvrages des années 1960-1972 qui expriment un « malaise » dans la géographie classique, les deux ouvrages d’O. Dollfus, L’espace géographique (1970) et L’analyse géographique (1971) ne sont pas ceux où cette caractéristique est la plus apparente. À première vue, le ton est largement didactique, voire autoritaire. Qu’on en juge par les premières lignes de L’analyse géographique :

Le géographe étudie les modes d'organisation de l'espace terrestre ainsi que la répartition des formes et des populations (au sens de collections d'individus) sur l'épiderme de la Terre. Sa démarche procède d'une dialectique entre la description et l'explication ; elle pose en permanence des questions qui s'enchaînent, et commencent par où, comment, pourquoi. Au départ le géographe localise et situe ce qui constitue l'objet de sa recherche, il décrit et définit les formes, ce qui le conduit à analyser leur agencement, leur répétition, leur similitude et leur singularité. Il s'efforce de les classer, de les ordonner d'une façon qui soit logique, compréhensive et cohérente. Comme l'indique Darby, la géographie est une science dans la mesure où les données que nous percevons sont examinées et mesurées avec soin ; elle est un art dans la présentation des données qui sont choisies, sélectionnées, ordonnées et jugées. Les classements se font en interprétant les faits localisés, selon une échelle, et en les replaçant dans des perspectives différentes en relation avec des niveaux de perception distincts qui, chacun, apportent à l'objet de l'étude un éclairage qui lui est propre. Des traits s'effacent ou au contraire sont mis en valeur en fonction de l'échelle de l'observation. On sait qu'un même élément apparaît fort différent selon qu'il est vu à l'œil nu, à la loupe ou au microscope. (Dollfus, 1971 : 5-6)

Ces lignes ne sont pas un programme qui se trouverait justifié ou étayé dans la suite de l’ouvrage, mais la première occurrence d’une « formule » de caractérisation de la pratique géographique répétée à plusieurs reprises par la suite, à propos de divers sujets et dans différents contextes. Dès l’incipit, l’emblème de ce petit ouvrage de 126 pages est « le géographe » — figure qui apparaît 50 fois dans le texte pour normer les pratiques disciplinaires légitimes. Le ton est d’emblée assertif. La norme est donnée à travers des catégories qui sont posées et non discutées (« art », « science », « données », etc., et, à un autre niveau, « forme », « description », «explication», etc.). Des formules du type « on sait que » construisent l’évidence légitime, selon un mode propre à l’exercice doxique qui consiste à présupposer évident et légitime ce qui est en fait donné performativement comme tel par le discours. Des analyses du même type révéleraient des formulations analogues dans L’Espace géographique, bien que moins fréquentes et enserrées dans un matériau plus descriptif (car il est question d’un objet plutôt que de pratiques).
Quoi qu’il en soit, et même si la mise en exergue des dispositifs dogmatiques à l’œuvre pourrait être développée bien plus abondamment encore, y compris à propos du seul fragment cité ci-dessus, le didactisme apparaît comme une caractéristique éminemment partagée, et non pas comme le seul fait des opuscules d’O. Dollfus.

Sur l’hétéronomie à l’œuvre dans ces textes
Les deux ouvrages d’O. Dollfus, L’espace géographique (1970) et L’analyse géographique (1971) manifestent une hétéronomie épistémologique homologue à celle que l’on trouve dans La géographie, méthodes et perspectives (1971) de Jacqueline Beaujeu-Garnier. Formulés à partir d’une sensibilité différente (plutôt sud que nord américaine, « tropicaliste », proto tiers-mondiste, nourrie de références plus ethnologiques et beaucoup moins économico-aménagistes), ils essaient eux-aussi d’opérer une synthèse entre la tradition postvidalienne et les nouveaux courants quantitativistes. Ainsi, dans le premier de ces deux ouvrages, trouve-t-on, au chapitre III, consacré aux très incontournables relations homme-milieu, le paragraphe suivant :

Le géographe, analysant un espace, doit intégrer l’ensemble des données, rechercher des corrélations aux différents niveaux, mesurer les interactions. L'utilisation des mathématiques peut alors se révéler indispensable pour manier un nombre très important de données, calculer de multiples corrélations, faire jouer les interactions. Mais les mathématiques ne sont qu'un instrument, neutre comme tout instrument ; les résultats obtenus dépendent d'une part de la qualité des données traitées et de l’autre des méthodes employées. Les mathématiques peuvent aussi servir de langage pour raccourcir la démonstration et abréger le discours. À ce titre, la connaissance des mathématiques rend les plus grands services dans l'analyse de l'espace géographique, mais leur usage est bien plus délicat que dans le traitement des espaces économiques où la plupart des relations peuvent être chiffrées. Ceci explique un certain retard dans l’emploi des mathématiques de la plupart des géographes, surtout français, par rapport à leurs collègues économistes. Bien des données jouant dans l'espace géographique ne sont que difficilement quantifiables, d'où une approche plus qualitative des questions, une interprétation plus historique des phénomènes. (Dollfus, 1970 : 48-49).

Si l’on perçoit clairement à partir de quelle prémisse (l’étude des corrélations) émerge le thème de l’usage des mathématiques, il est important de souligner que ce paragraphe constitue un hapax pour le moins surprenant au sein et du chapitre et de l’ouvrage. En effet, rien dans ce qui précède et ce qui suit ce modeste alinéa n’a de rapport nécessaire avec lui : il est totalement contingent, à tel point que sa suppression n’entraînerait aucune modification de la compréhension du texte. C’est une pure parenthèse digressive, du moins en apparence. La position de l’auteur est très nettement favorable, au niveau des principes en tout cas. Le mouvement argumentaire mérite toutefois que l’on s’y attarde un peu : dans un premier temps est affirmé le caractère « indispensable » des mathématiques pour l’étude des corrélations complexes, après quoi l’auteur semble vouloir désacraliser (dédramatiser ?) ce qui n’est « qu’un instrument, neutre... » — ce qui revient à suggérer que l’outil n’est ni bon ni mauvais en soi. Dans la proposition suivante, l’«instrument» devient « langage », dont le mérite éminent est de permettre une sorte de condensation du discours. Mérite ? La fin de l’alinéa met en avant la délicatesse du « chiffrage » (on est en deçà du langage) en géographie, d’où le « retard », surtout « français », avant de conclure au caractère non quantifiable de « bien des données » du géographe. Le mouvement du texte est assez peu éloigné d’un authentique retournement argumentatif : la mathématisation est nécessaire, mais il y a plusieurs aspects (on dissocie), et certains sont « délicats » (i. e. difficiles), et nous avons du retard, et dans certains cas c’est impossible. Après quoi le thème disparaît complètement, pour le restant du livre.
Tout ceci traduit à mon avis une certaine ambivalence à l’endroit des préoccupations quantitativistes alors émergentes : l’auteur entend leur accorder une place et dire leur nécessité, mais c’est à l’occasion d’un alinéa isolé, sans aucune portée, qui fonctionne un peu comme une clause de style. Et ce qui en est dit est pour partie renié par l’évocation des pratiques effectives dans la discipline, à une époque où de surcroît il se lisait très peu de littérature étrangère... Pour autant, l’exercice est-il vain ? En termes d’accroche d’un lectorat étudiant toujours volatil, certainement. Mais comme indice d’une attitude un peu trouble, esquissant une ouverture sans en tirer de conséquences immédiates, il y a là un mode d’expression assez original, différent de ce qui est à l’œuvre chez les autres géographes « en malaise ». L’hétéronomie, quant à elle, se situe dans l’externalité remarquable de cette digression au regard de l’ouvrage qui la contient.
Mais bien plus encore que L’espace géographique, très classique à bien des égards, c’est L’analyse géographique (1971) du même O. Dollfus qui manifeste les plus forts signes de superpositions paradigmatiques non réductibles. Il s’agit d’un livre fort insolite, en dépit ou du fait même de son ton catégorique (cf. supra) : strict contemporain de La Géographie : méthodes et perspectives (cité en bibliographie), extrêmement court (6 chapitres, 125 courtes pages, 176 000 caractères), écrit de toute évidence à la hâte, et en même temps d’une ambition extrême. Son objectif théorique consiste ni plus ni moins qu’à unifier le legs classique (la description explicative des conditions de site et du fait régional) avec des schèmes structuralo-systémiques (inférés pour l’essentiel de J. Piaget (cité 4 fois), Cl. Lévi-Strauss (3 fois), ou par référence à G. Bertrand (7 fois) et R. Brunet, cité 8 fois) et des emprunts (avant tout lexicaux) au spatialisme anglo-saxon (P. Haggett, W. Bunge). Les titres des chapitres annoncent la couleur de la modernité : « Les structures géographiques » (chapitre II), « Systèmes, réseaux et fonctions » (chapitre III), « La différenciation spatiale » (chapitre IV), « Le temps » (chapitre V), « Les modèles et la géographie » (chapitre VI, le dernier). À chaque fois, il s’agit dans un premier temps de donner des définitions de ces termes conceptuels — encore largement exotiques en 1971 — puis de les décliner, au travers de typologies, d’exemples et de discussions sémantiques générales. Pourtant, si l’on exclut les références aux travaux de G. Bertrand et de R. Brunet, les matériaux utilisés pour imager le propos sont strictement classiques. Ainsi, par exemple, pour justifier l’emploi de structure en géographie, O. Dollfus donne l’exemple de la structure géomorphologique des Alpes (p. 31-32), avant d’opposer la structure des «données naturelles» et les « structures régionales » du Languedoc (p. 32-33). D’une manière générale, l’abondance des innovations lexicales abstraites, très originale pour un manuel de l’époque, fait contraste avec un matériau «empirique» qui porte la marque indélébile de l’École française de géographie ; nombre de « cas d’école » ou d’exemples paradigmatiques y figurent : le Limousin, la région lyonnaise, la Champagne crayeuse... L’abondance d’exemples et de « cas » tropicaux pourrait sembler plus spécifique. Le traitement de ces derniers est néanmoins d’inspiration classique et fait d’ailleurs abondamment référence aux travaux de Pierre Gourou, Henri Monbeig, etc. Par ailleurs, l’ouvrage atteste d’un effort manifeste pour traiter symétriquement géographies physique et humaine, auxquelles les catégories théoriques générales sont appliquées suivant un strict régime d’équivalence. Cette indistinction résolument unitaire permet de mobiliser des précédents hérités de la géographie physique daviso-martonnienne (notamment à propos de «structure», de « forme » et de « temps »), mais fait apparaître par contraste de fortes difficultés à donner sens à cet appareillage conceptuel en géographie humaine. Au final, on pourrait presque parler d’un découplage entre le répertoire théorique — qui puise son inspiration dans un vaste ensemble de références, souvent extra-géographiques, et ancre ce livre dans un effort de modernisme — et les possibilités de résonance empirique, qui rabattent le propos sur une tradition riche en exemplars particulièrement prégnants...
L’hétéronomie fonctionne également à un autre niveau dans le dernier chapitre, « Les modèles et la géographie », fort curieux à bien des égards : très court (9 pages de « Que sais-je »... soit un peu plus de 12 000 caractères), conclusif (faute de conclusion), complètement neuf, en ce sens qu’il s’agissait d’une tentative inédite en français que de consacrer un chapitre de manuel à la modélisation (et à elle seule), sous les auspices du Models in Geography de R. Chorley et P. Haggett. Or, que trouve-t-on dans ce chapitre ? S’il n’y a rien qui ressemble à un travail de pédagogie par l’exemple, on trouve quelques définitions de ce qu’est un modèle, la démonstration du caractère ancien des pratiques de modélisation, une critique typiquement (et citationnellement) « georgienne » des sources statistiques (qui « rendent mal compte de la diversité des situations géographiques »), des réflexions confuses sur la réduction mathématique comme illusion de « langage commun », une réfutation en sourdine de l’utilité des modèles et, au final, ces paragraphes conclusifs (puisqu’ils terminent l’ouvrage) :

 

Deux écueils menacent le géographe. L'un consiste à nier la valeur théorique, épistémologique et surtout didactique des modèles dont les difficultés de construction ne font que refléter l'absence de données de base ou, ce qui est plus grave, la déficience de la réflexion conceptuelle. L'autre repose sur l'établissement de modèles sans que soit creusée la question des concepts et des sources. On débouche alors non plus sur des recherches originales mais sur l’application de techniques et d'instrumentations devenues banales (emplois de programmes déjà éprouvés et d'ordinateurs). Parfois aussi, une observation un peu attentive permet de parvenir à des résultats aussi satisfaisants que ceux obtenus à la suite de longs calculs mobilisant un outillage coûteux. Dans la recherche comme dans la vie économique, on reste soumis à des contraintes de rentabilité et notamment à la rentabilité du temps de travail qui est incompressible.

Il paraît vain d’opposer les tenants d'une « nouvelle géographie » recourant systématiquement à l'emploi de modèles, mais qui se fonderaient sur la croyance que les mathématiques donnent rigueur et exactitude à tout ce qu'elles touchent, aux tenants d'une géographie qui, par opposition, serait « ancienne » ou « traditionnelle », et dont la démarche reste empirique, l'analyse plus qualitative que quantitative et dont la réflexion serait fondée sur une vaste culture aux contours un peu flous. Poser ainsi le problème ce n’est pas opposer les « modernes » aux « anciens », c'est amorcer une querelle de cuistres et de sacristains ; ce serait pour les uns risquer de se dévoyer sur un chemin sans issue jalonné par les échecs du scientisme du siècle passé, pour les autres se priver de la confrontation de la théorie et de la réalité, confrontation indispensable aux progrès de toute discipline.

Le géographe doit savoir jouer sur plusieurs claviers auxquels correspondent les clefs qui commandent les partitions. Il sait que chaque note a sa place dans le concert, qu’elle intervient dans les accords instantanés et que la succession des notes jouées sur plusieurs claviers ou par plusieurs instruments permet le déroulement de la ligne mélodique. Il n'y a pas une géographie qualitative qui s'oppose à une géographie qui serait quantitative ; les mathématiques ne sont d'ailleurs pas la science de la quantité. L'expression « géographie logique » m'apparaît préférable à celle de « géographie quantitative ». Il n'y a, pour la compréhension des espaces organisés et la connaissance des répartitions à la surface de la Terre, qu'une seule et même recherche qui peut être affinée par des analyses qui ne sont pas nécessairement quantifiables mais dont certains résultats peuvent parfois être obtenus plus rapidement et exposés d'une façon plus claire grâce à un raisonnement logique et une formulation mathématique. Le géographe suit le conseil que le peintre Klee donnait à un élève « en apprenant à regarder plus loin que les apparences pour atteindre la racine des choses » et il fait sienne la remarque de Paul Valéry à propos de l'Histoire : « Il faut se tirer de l'infini des faits par un jugement de leur utilité ultérieure relative. » (Dollfus, 1971 : 122-124).

Jusqu’au bout, l’attitude d’O. Dollfus vis-à-vis des « modèles » et de la « géographie logique », comme il l’appelle, est ambiguë : au nom d’un certain pragmatisme méthodologique, il convient de ne pas la rejeter, mais à tout le moins de la surplomber : la renommer, connaître ses limites, éviter les gaspillages (de temps en particulier) qu’elle occasionne tout en appréciant les gains de temps [sic] et de clarté qu’elle permet. À certains égards, le paragraphe antépénultième pourrait se lire comme une charge féroce contre la modélisation : isolé et sorti de son contexte, il s’insérerait admirablement dans un florilège antiquantitativiste. Mais il n’est pas isolable ; et en définitive, c’est à une tâche ancillaire que semble un peu dévolue cette « géographie logique », pourvoyeuse d’un nouveau registre davantage que d’une nouvelle façon de jouer (pour filer la métaphore de l’auteur).
 
Ce final éminemment métaphorique et lettré figure à son avant-dernier paragraphe une opposition entre « tenants d'une nouvelle géographie » et « tenants [...] d’une géographie [...] traditionnelle » totalement absente du livre et soudain récusée, puisque « vain(e) », à la clausule. Ce surgissement ultime d’un spectre schismatique, récusé (exorcisé ?) plutôt que réfuté, sur le mode du refus têtu, a quelque chose d’étrange : en 1964, Paul Claval évoquait dans son avant-propos une possible division des géographes, pour quasiment l’oublier après. Ici, au dernier trimestre 1971, alors que se préparait le premier numéro de L’espace géographique et qu’avaient eu lieu les Journées géographiques d’Aix-en-Provence, se produit le mouvement textuel inverse : c’est à l’issue d’un vaste effort d’innovation théorique et anhistorique, largement hétéronome, que survient le malaise, dans le déni non argumentable (à moins de considérer l’analogie métaphorique comme un argument). Sorte de prétérition dédaigneuse qui tourne à l’échec ? Symptôme d’une impossibilité patente à tenir ensemble deux (trois ?) cités incommensurables, sinon incompatibles ?

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En relisant, en écrivant

Etrange tâche que de transformer un texte déjà écrit en livre. Je suis en plein dans la réécriture du Plain-pied du monde avant sa publication dans la collections Histoire des sciences humaines (HSH) de Claude Blanckaert à L'Harmattan. Après réception de la charte de la collection, je l'ai appliquée à mon texte, qui a "gonflé" de 400 à 600 pages (c'était en décembre dernier). A partir de janvier, j'ai été mobilisé par des activités diverses et c'est seulement maintenant que je me mets véritablement au travail de refonte.
Il n'a jamais été question pour moi de refaire un manuscrit en fonction des évolutions de mon travail depuis 2003, parce que cela déboucherait sur un tout autre texte. En revanche, il faut que je redescende à 400 pages (maxi). Le changement du système de références aide pas mal et dégonfle mon appareil de notes infrapaginales. J'ai réussi aussi à taillader dans les détails. Exit les quelques analyses sur Vidal de la Blache que je m'étais senti obligé de faire. Le chapitre sur de Martonne, déjà publié, n'y sera pas non plus. Pour l'instant, j'en suis à 510. J'ai bon espoir de rentrer dans les clous. Sur une journée de 10 heures, j'arrive à traiter 2/3 de chapitre - et il y en aura 7. Il me reste environ 10 grosses journées de travail, avant de soumettre le résultat à mes deux lectrices préférées, puis à Claude. J'aimerais finir d'ici à la seconde moitié de mai. Y arriverai-je ?
L'introduction a été reprise maintes fois, car c'est d'elle dont bien des lecteurs se sont plaints le plus. Etrange quand on y pense : elle avait été rédigée en deux jours, avec une facilité déconcertante. Sur le moment, je l'avais trouvée très abordable. Plus j'y retourne et plus je réaménage. Il faudra bien arrêter un jour. La conversion en références américaines prend un temps phénoménal, surtout qu'il faut sans cesse naviguer entre la bibliographie et le corps du texte.
En outre le genre (Orain, 2003b : 24) est très laid. Mais quel gain de place ! Et cela renforce la cohérence de la biblio.
Je sais qu'en abordant le chapitre 3 (anciennement 4), "D'une géographie à l'autre : un détour par Thomas Kuhn", il va y avoir de grosses saignées. C'est celui qui stratifie le plus grand nombre de couches d'écriture. C'est sans doute le coeur de tout ce que j'ai fait, mais c'est aussi un amas de bricoles hétéroclites. Je tiens énormément à ce travail, car il est la clé de voute de l'ensemble. Mais à la limite, il pourrait générer un autre livre, donc il va falloir faire attention, couper et ne pas rajouter. Si j'étais courageux, il faudrait aussi que je fabrique un nouveau chapitre avec les deux suivants. Cela voudrait dire trancher dans les analyses littéraires. Or, précisement, cette publication a du sens surtout en tant qu'elle exprime une certaine façon de travailler le corpus géographique.
Je n'ai donc pas trop envie de sabrer cela. Si j'écrivais un ouvrage sur le même sujet maintenant, il aurait sans doute un peu moins cette dimension poéticienne qu'avait ma thèse de 2003. Pour cette raison, j'ai spécialement envie de conserver celle-là. Sur le sujet des régimes (ou styles) épistémologiques, il y aurait tant à redire, à revoir. Les interprétations de textes, elles, ont leur autonomie. D'ailleurs, je m'étais rendu compte d'une chose quand j'essayais de relire des bouts de ma thèse : elle est incompréhensible si on ne fait pas l'effort de lire tous les passages cités, car ils sont plus que des pièces à conviction, ils ont une fonction motrice. Et ils donnent à voir de la géographie française des choses que je ne fais pas l'effort de reprendre. Le commentaire ne saurait être à mes yeux réitération du dit (ou de l'écrit). Par voie de conséquence, bien des choses que je formule supposent d'avoir lu ces extraits. Ce n'était pas délibéré en écrivant l'original, mais c'est devenu une contrainte de lecture forte, en un certain sens gênante.
J'essaie d'enlever les coquetteries et les obscurités du texte soutenu. Ces corrections nécessaires me donnent du courage pour dézinguer les commentaires infrapaginaux. Comme tant de choses deviennent superflues ! Pour ce qui est des phrases byzantines, c'est un plaisir de les casser en 2, 3 ou 4. En temps utile, je reprendrai les observations de Paule Petitier pour porter le coup de grâce à mon caquet.
Autant l'introduction, avec sa structure spiralaire, demeure un cauchemar à relire, autant la suite est comme une sorte de flot dans lequel je me laisse glisser, arrachant aux passages des branches mortes et colmatant des diverticules. Qui, en se relisant, n'a pas retrouvé cette expérience enfantine qui consiste à répéter tant de fois un mot trivial qu'il en devient hermétique ? Pareil avec tous ces paragraphes : ils ont un air de famille, c'est sûr, mais pour peu qu'on n'y prenne garde, on glisse dessus comme sur de la toile cirée.
Je veux un texte aussi lisible que possible. Je n'ai jamais cherché de près ou de loin à "faire compliqué", jamais. Je déteste cette réputation d'écrivant difficile. Je pense que je ne fournirai jamais un produit très immédiat, sans lourdeurs ni moments pénibles. Mais comment faire autrement quand on s'efforce de jouer franc-jeu ? Bien sûr, Thomas Kuhn et Howard Becker sont des exemples, aussi. Mais ce qu'ils font relèvent assez largement de la description épaisse, laquelle n'est pas toujours possible, surtout quand on commente la production d'autrui. Et qui peut prétendre avoir accès à une intelligibilité complète d'un livre comme Outsiders sans un processus d'interprétation a posteriori ? Les textes les plus clairs, les plus limpides en apparence, recèlent toujours des pièges, alors qu'un Pierre Bourdieu, difficile il paraît, me semble infiniment plus immédiat à saisir que Becker ou Goffmann. Le métadiscours alourdit les sciences sociales, les rend techniques, mais il offre un autre régime de clarté, sur le fond de l'argumentaire.
Je ne prétends pas me comparer à ces éminents messieurs. J'avais juste besoin d'exemples partageables. De toutes façons, je reviendrai sur cette question de la clarté, car elle me semble essentielle et pas du tout univoque, comme certains voudraient bien le laisser croire.

 

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